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Langue, identité et politique (Diario de Sevilla-Tribuna, 26 mai 2017)

JOSÉ MARÍA AGÜERA LORENTE

Maître de Conférences en philosophie

Traduction : Ivon Lara Vásquez

Pendant des siècles les langues officielles n’ont pas existé, même le latin n’a pas bénéficié de ce statut lorsque l’Empire Romain dominait une grande partie du continent.

Il n’y a pas si longtemps, existait en Europe une grande diversité linguistique, que l’établissement des identités nationales a considérablement réduite, au point qu'actuellement avoir une langue nationale, unique et singulière dans chaque pays est considéré comme un fait naturel existant depuis la nuit des temps. Mais, pendant des siècles, les langues officielles n’ont pas existé, même le latin n’a pas bénéficié de ce statut lorsque l’Empire Romain dominait une grande partie du continent. Pendant un certain temps, l’hégémonie séculaire française a imposé le français comme la langue des rois et des cours dans de nombreux pays européens, tandis que le peuple parlait en dialecte et les professeurs des universités écrivaient et communiquaient en ancien latin. Cette conjoncture linguistique répondait à un ordre politique dans lequel les cours royales n’apportaient pas une attention particulière à la communication avec leurs sujets. Dans notre monde globalisé, cette sorte de village rempli d’univers symboliques différents, des identités culturelles diverses doivent coexister étroitement, dont beaucoup utilisent leur propre langue. Autour de cette multiculturalité des quartiers et des villes, c'est l'anglais, langue internationale des finances, de la science et de la technologie qui règne en maître.

Les langues ne sont plus un instrument de communication, elles se transforment en un totem sacré lorsqu’elles deviennent langues nationales. Ceci dit, ce qui compte est leur pouvoir de différenciation en tant qu'élément identitaire renforçant le sentiment d’appartenance à la tribu. Ce que l’histoire en vient à démontrer à ce propos -et que les nationalistes ne semblent ni comprendre ni accepter- c’est que nation, État et langue ne doivent pas forcement coïncider ; bien plus, cette coïncidence n’est presque jamais naturelle, et pour donner lieu à cette conjonction trinitaire, on finit par mépriser une partie considérable des citoyens. Par conséquent, faire de la langue une affaire politique est une erreur, erreur qui est, d’ailleurs, souvent commise dans notre pays.

De nos jours, la crainte de la perte de l’identité culturelle et nationale est un élément incontournable au moment de comprendre et affronter politiquement les tensions que la diversité engendre dans la cohabitation au sein des états-nations forgés dans la modernité. On en voit le reflet dans la langue car -comme on l’a signalé auparavant- elle joue un rôle crucial dans l’établissement et la conservation de cette fameuse identité nationale. C’est pour cette raison que les groupes nationalistes au sein de l’Europe sont des protectionnistes linguistiques face à l’avancée de l’anglais comme langue de communication transnationale. En même temps, dans la pratique de la plupart de pays européens, on part du principe que la politique linguistique envers les migrants doit être celle de l’assimilation, ce qui implique le mépris de leurs droits linguistiques. Cette attitude reflète l’une des tensions créées par le double phénomène contemporain de la mondialisation et de la multiculturalité. Elle se manifeste par la crainte de l’agression identitaire provoquée par la prise en étau constituée, d’un côté, par la mondialisation envahissante qui trouve l’anglais en tant que lingua franca, et, de l’autre côté, par la migration (multiculturelle) compromettant l'harmonie supposée inhérente à toute société homogène.

Les politiques linguistiques méritent, pour le moins, être menées avec circonspection vu qu’il existe plusieurs aspects déterminant la mort ou la survie des langues, compte tenu d’une complexe combinaison de causes et de conséquences psychiques, émotionnelles et socioéconomiques, ce qui rend très difficile d'aborder cette problématique d’un point de vue politique impartial. La survie d’une langue minoritaire, comme celle des migrants dans un pays étranger, dépend d’un équilibre fragile entre pouvoir et identité. Dans la mesure où l'identité est la valeur qui prévaut, la langue minoritaire a une opportunité de survie dans le groupe. Cependant, si la langue dominante est associée à plus de prestige et au progrès social, elle gagnera plus de locuteurs. En tout cas, la survie d’une langue dépend, au bout de compte, de ses locuteurs. Ceci est cohérent avec l’idée illustrée ci-dessus : les langues ne sont pas des animaux métaphysiques, mais plutôt des instruments culturels issus du phénomène de la communication pratiqué par des individus concrets. La politique linguistique a donc pour but l’établissement des conditions appropriées pour permettre à tous de s’exprimer dans une langue choisie librement.

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