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Multilinguisme : Parler la langue de la diversité

Traduction de l'anglais par Mariela Slancheva

24 octobre 2016

Le multilinguisme élargit nos horizons et sert d'antidote contre la xénophobie toxique.

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Un panneau d'avertissement en 4 langues, sur une plage portugaise, prévenant les baigneurs des dangers [Getty]

par Khaled Diab
Khaled Diab est un journaliste d'origine égyptienne et belge, écrivain et blogueur lauréat de plusieurs prix.

Alors que le Royaume-Uni va sortir de l'UE, un sondage récent a conféré aux Britanniques la distinction peu enviable d'être les plus mauvais en langues étrangères en Europe.

Bien que ce sondage soit fondé sur des impressions et soit, en conséquence, subjectif, il confirme bien un ensemble énorme et accablant de recherches antérieures. Malgré le fait que le Royaume-Uni soit l'une des sociétés les plus multiculturelles en Europe, trois cinquièmes de la population britannique ne parlent aucune langue étrangère, selon un sondage au niveau européen. Dans le reste de l'Europe, plus de la moitié des citoyens parlent au moins une langue étrangère.

Cette désastreuse image est confirmée par un témoignage anecdotique. Étant enfant au Royaume-Uni, j'y étais souvent considéré comme une curiosité, et parfois même comme un prodige, pour le simple fait que je parlais couramment l'arabe. Plus tard dans la vie, j'ai remarqué à quel point les Britanniques et les Américains, hormis une minorité qui maîtrise de manière impressionnante plusieurs langues, ont, comparés aux autres nationalités que je connais, en général le plus de mal à acquérir une autre langue, malgré leur désir désespéré de réussir.

Sens et pragmatisme

Les raisons pour cela sont nombreuses, le sens et le pragmatisme en font partie.

Dans le monde contemporain, rares sont les coins du globe où personne ne parle anglais et nombreux sont les endroits où les étrangers ont une maîtrise de l'anglais qui est au moins aussi bonne que celle des locuteurs natifs.

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L'un des exemples les plus extraordinaires fut celui de Joseph Conrad, qui n'a appris à parler l'anglais couramment qu'à l'âge de 20 ans, et pourtant a toujours réussi à écrire quelques uns des romans les plus frappants et mémorables de la littérature moderne anglaise.

Bien que l'époque où un officier britannique qui réprimandait les indigènes parce qu'ils n'étaient pas capables de parler anglais « correctement » soit révolue, le fait que la Grande Bretagne ait eu le plus grand empire colonial du monde pendant des siècles a créé une culture intrinsèque de ce que l'on peut appeler privilège linguistique.

Au-delà du pratique, il y a aussi le culturel.

Alors que les Français ont appris au cours des dernières décennies à ravaler leur chauvinisme linguistique traditionnel et qu'une minorité croissante adopte les langues étrangères, les Britanniques ont été à l'abri de cela grâce à la dominance mondiale des États-Unis.

Cette culture royaliste de privilège et de manque d'intérêt imprègne le système éducatif. Quand j'étais lycéen, la plupart de mes camarades de classe anglais trouvaient que les cours de langue étrangère étaient trop embêtants et considéraient que l'apprentissage d'une autre langue était à peu près aussi utile que de parler de nouvelles langues.
Quand et comment enseigner les langues étaient une partie du problème. Nous ne commencions qu'en 6ème, et les professeurs en général faisaient peu d'efforts pour nous montrer l'importance et la beauté de l'apprentissage d'une langue, à l'exception d'une sortie en immersion très courte que nous avons eue en français.

Conséquences économiques

Au cours des années suivantes, la situation ne semble pas avoir beaucoup changé, malgré les avertissements sinistres réguliers concernant les conséquences désastreuses d'échec.

Moins d'un élève anglais sur dix, âgé de 14 et 15 ans, peut utiliser sa première langue étrangère de manière autonome, a révélé une recherche il y a quelques années.
Bien sûr, dans l'économie mondialisée, cela a de sérieuses conséquences économiques.
Par exemple, dans la Belgique multilingue qui héberge aussi le siège des institutions européennes, les offres d'emploi exigent systématiquement des compétences dans au moins trois langues : le néerlandais, le français et l'anglais.
Mais il y a une composante sociale et culturelle tout aussi importante. Notre fils, qui a eu la grande chance d'avoir été exposé à plusieurs langues avant même d'être né, est une publicité vivante des avantages du multilinguisme. Iskander n'a pas encore sept ans et il parle déjà quatre langues couramment, qu'il a apprises relativement facilement (il en a fait comme un jeu d'enfant) grâce au contact précoce et constant avec ces langues.

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Bien qu'Iskander ait tendance à mélanger les langues d'une manière qui prête à confusion, cela lui a donné un don et un intérêt remarquables pour les langues et les autres cultures. Lorsqu'il est confronté à une langue qu'il ne connaît pas, souvent il exprime un intérêt à l'apprendre plus tard.

Sentir la différence
Iskander compare aussi et met en opposition les langues qu'il connaît, et peut littéralement goûter la différence. Récemment, il nous a dit qu'il préférait « petits pois » à « besela » (en français et en arabe signifiant « peas »). Lorsqu'on a souligné que les deux mots voulaient dire la même chose, il nous a informés très clairement que « le mot français est plus agréable ».
Surtout, le multilinguisme lui a donné des mots qui lui permettent de différencier sa vision du monde.
Aujourd'hui, il joue avec des enfants de différentes cultures, religions, races et nationalités, mais il est aveugle à leurs prétendues différences. Demain, il va devenir un adulte qui, j'espère, pourra être conscient des différences factices qui nous séparent, mais qui établira un pont entre celles-ci et les points communs qui nous unissent. Connaître une ou plusieurs langues vous permet d'apprécier le monde avec différentes langues. Cela peut vous aider à élargir vos horizons, vous faire apprécier la diversité étourdissante du monde, tout en faisant comprendre que, malgré nos différences, nous partageons de nombreuses similarités remarquables.
Naturellement, le multilinguisme ne protège pas contre la xénophobie et le sectarisme, mais ne les facilite pas. Comme la peur de « l'autre » s'accroît à travers le monde, l'importance de cette souplesse culturelle ne peut que grandir. En ces temps de plus en plus troublés qui nous divisent, nous avons besoin de puiser dans chaque once de compassion et d'empathie que nous pouvons trouver.
Khaled Diab est un journaliste d'origine égyptienne et belge, écrivain et blogueur lauréat de plusieurs prix. Il est l'auteur d'Intimate Enemies : Living with Israelis and Palestinians in the Holy Land[1]. Il tient un blog sur www.chronikler.com 

[1] Ennemis intimes : vivre avec des Israéliens et des Palestiniens en Terre Sainte.
Les opinions exprimées dans cet article appartiennent à l'auteur et ne renvoient pas nécessairement à la politique éditoriale d'Al Jazeera.

Source : http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2016/10/multilingualism-speaking-language-diversity-161006132117067.html