L'inutile anglomanie des entreprises

Catégorie : Du côté des entreprises
Autrefois ignoré des entreprises, l’anglais est devenu aujourd’hui une langue de travail jugée indispensable. Cette anglicisation est aujourd'hui excessive. tel est le point de vue présenté par Yves Montenay dans Le Mensuel de l'Université N°19 .

Pendant longtemps, les entreprises françaises ont ignoré les langues étrangères. Elles exportaient peu et principalement vers nos colonies et vers les pays occidentaux où la bourgeoisie était francophone. Tout au plus utilisait-on un peu l’allemand, langue de notre voisin et des cadres techniques de l’Europe centrale et orientale, Russie comprise. Rares étaient les patrons qui parlaient anglais, hormis quelques milieux comme le cognac ou le charbon.

Aujourd’hui, la situation s’est inversée. Les cadres de moins de 50 ans parlent un anglais convenable. Fiers de leur compétence ils ne se demandent pas si leurs interlocuteurs belges, hollandais, italiens, espagnols, allemands ou grecs ne préféreraient pas parler une autre langue, la leur ... ou le français par exemple ! On en a même vu aborder en anglais des Québécois, des Maghrébins ou des Mauriciens !

Cette anglomanie systématique a gagné le travail fait en France. Dans un premier temps, les états-majors parisiens des filiales des entreprises américaines, puis d’autres pays, ont adopté l’anglais comme langue de réunion. Ce fut la décision d’un patron étranger.

Ensuite, l’anglicisation a gagné les entreprises à capitaux français ayant des filiales à l’étranger, sous prétexte de ne pas perturber les dirigeants locaux.

Puis ce fut le tour de celles qui avaient un partenaire étranger.

Enfin, de purs « français » comme Axa, Danone et bien d’autres, les ont imités.

Cependant, il n’y a pas que les entreprises : certains hauts fonctionnaires, influencés par Bruxelles, l’ONU ou l’OCDE, se sont mis à travailler en anglais pour être lus. Mais ces organismes, où notre langue est officielle, doivent accepter et nous fournir des textes en français. Fiers d’être lus « à l’international », ces hauts fonctionnaires négligent ensuite de préparer une version française pour leur administration.

Or, mon expérience professionnelle m’a montré que cette anglicisation n’était absolument pas nécessaire. Elle est même nuisible, car elle a l’inconvénient de donner priorité à des ingénieurs (ou des commerçants) médiocres, mais à l’anglais fluide, au détriment de plus compétents, mais qui n¹auront pas su se faire valoir dans la langue de Shakespeare (si l’on peut appeler ainsi ce sabir qu’est le « globish » ou ce dialecte incompréhensible qu’est le texan).

Il y a là un formidable gâchis de talents et de créativité, qualités qui ne s’expriment vraiment que dans la langue maternelle.

La bonne solution est bien évidemment de choisir quelques personnes bi-culturelles (ce qui est plus important que d’être bilingue) là où une interface est nécessaire et de laisser s’exprimer normalement le reste du personnel. Les raisons habituellement données (telles une seule présentation pour le monde entier ou le coût des traductions) ne tiennent pas ou présentent plus d’inconvénients que d’avantages.

Les conseils en organisation, bien que souvent de formation américaine, mettent pourtant les patrons en garde : l’anglais n’est pas une baguette magique qui modernise l’entreprise et dope les exportations ; ce n’est qu’un outil comme un autre qui doit être utilisé là où il est utile et là seulement.

Les syndicats de leur côté, ont réagi, dénonçant un snobisme qui permet à la hiérarchie de faire sentir sa supériorité au détriment de l’efficacité et de la sécurité. Ils rajoutent que l’ignorance de l’anglais va devenir un critère de licenciement en cas de restructuration, ne serait-ce que pour donner une raison « objective » au choix des victimes.

On ajoutera que les syndicalistes les plus motivés sont ceux qui maîtrisent bien l’anglais, et sont donc en état de constater que son usage n’apporte rien dans telle ou telle situation. S’appuyant sur la loi Toubon, ils ont d’ailleurs fait sévèrement condamner en 2007 plusieurs entreprises qui utilisaient abusivement l’anglais.

Quelques entreprises (comme Axa, Total, Suez ou Lafarge) ont pris conscience du problème, soit spontanément, soit à la suite des réactions syndicales. A l’inverse, les entreprises québécoises et flamandes se sont développées en adoptant la langue maternelle de leur personnel au détriment de l’anglais pour les premières et du français pour les secondes.

Les traditions politiques des intellectuels français les poussent à voir dans cette anglicisation une sorte de complot américano-libéral, d’où leur réaction anti-libérale ou altermondialiste. C’est, à mon avis, une erreur stratégique qui met les défenseurs du français dans le camps des perdants.