Black Friday 2016 : Qu'est-ce qui peut bien pousser des publicitaires à diffuser des messages incompréhensibles ?

Catégorie : Chroniques - humeurs

Nous nous étions déjà étonnés en 2014 de cette campagne publicitaire dont le message est pour le moins curieux.

Le Black Friday a sans aucun doute du sens aux États-Unis, puisqu'il s'agit du lendemain de Thanksgiving, jour férié aux États-Unis, que seuls les anglicistes et les expatriés connaissent, fête non travaillée bien sûr et où tous les commerces sont fermés. Donc Thanksgiving n'est pas un bon jour pour les affaires et l'on se rattrape le lendemain qui marque le début des soldes de fin d'année aux Etats-Unis.

On peut comprendre que les grands de la distribution dans le monde (Amazon, Carrefour, Auchan, Cdiscount, Fnac, Ikea, Adidas, Nike, etc.) veuillent coordonner les soldes en se calant sur le Black Friday.

Mais comme le Black Friday ne représente rien pour les consommateurs en dehors des États-Unis, on doit se poser des questions d'autant que, même symboliquement, le message est inintelligible et, a priori, contreperformant.

En effet, le noir n'est pas une couleur qui évoque la fête, sauf pour les comptables (le noir est positif, tandis que le rouge est négatif, d'où l'expression "être dans le rouge"). Non, le noir, même si c'est une belle couleur vestimentaire, reste en tout cas en Europe, associée au deuil, et en économie, pour ceux qui ont quelque souvenir de leurs cours d'histoire, on se souvient non pas du vendredi noir, mais du jeudi noir, un certain 24 octobre 1929, le jour du krach boursier de Wall Street qui a marqué le déclenchement de la Grande crise de 1929.

Donc, nos publicitaires semblent bien relever de la psychanalyse.

Sans doute croient-ils dans l'efficacité de la répétition. Les consommateurs étant par définition des imbéciles incultes, autant leur répéter un message qu'ils ne comprennent pas, ils finiront bien par comprendre un jour que Black Friday signifie dépenser sans compter ou la joie de dépenser. Les Québécois sont vraiment les plus astucieux, qui ont remplacé Black Friday par le Vendredi fou, compréhensible et facilement traduisible dans toutes langues. Les Chinois ont eu une autre idée, la date est changée, c'est le 11 novembre et non le 25, et ils l'ont baptisée le Jour des célibataires, el Día de los solteros.

Dans l'intervalle, rien ne semble décourager les consommateurs. Peut-être parce qu'un message publicitaire n'a pas besoin d'être compris ? Il suffit en l'occurrence que le message ait une connotation américaine pour que le consommateur réagisse positivement, selon un réflexe pavlovien, que des années de matraquage publicitaire ont pu, avec le temps, finir par susciter. Reconnaissons que ce calcul n'est pas aberrant et que sur le long terme, si les consommateurs, qui sont aussi accessoirement des citoyens, sont à ce point asservis, le calcul peut se révéler scientifiquement fondé. Il faut à ce sujet renvoyer aux fondateurs de la science (américaine) des relations publiques, et par exemple au grand classique du genre, le petit ouvrage d'Edward Bernay Propaganda, écrit en 1928, qui, entre autres, a inspriré Hitler et Goebbels, et que l'on peut résumer ainsi : en démocratie, il faut obtenir par la manipulation, ce que, en dictature, on obtient par la contrainte.

Nous sommes ici au coeur du sujet.

Le message publicitaire sur le Black Friday est l'expression pure d'une empreinte culturelle, particulièrement présente dans le domaine de la publicité. Le comble de la colonisation culturelle est quand les acteurs de la colonisation sont les colonisés eux-mêmes. Les idées, les images, les comportements se propagent par un effet d'imitation de prestige, qui est un effet de domination. Cette attitude peut dans certains contextes se justifier. Dans d'autres, elle peut être calamiteuse et entraîner l'extinction de toute inspiration créatrice. On assiste dans ce cas, à une attitude de dépendance, comme on peut se trouver dépendant d'une drogue. On observe donc ce que l'on peut nommer en bon français une véritable "addiction aux États-Unis d'Amérique", révérence et soumission à la toute puissance. Il faut dire que les États-Unis tiennent incontestablement le haut du pavé dans les hautes technologies et l'on comprend très bien comment fonctionne l'effet d'imitation par le prestige dans ce cas. Le problème est que le prestige ne se divise pas et s'il y a des secteurs dans lesquels les États-Unis peuvent être un modèle, il en est d'autres, et ceux-ci sont probablement plus nombreux et significatifs que ceux-là, la liste serait longue, où ils sont un anti-modèle.

Il serait bien évidemment très excessif de voir dans tout communicant un addict à tout ce qui vient des États-Unis, d'autant que de nombreux communicants font avec succès leur métier en empruntant des voies opposées. Donc la campagne publicitaire sur le Black Friday n'obéit pas à nos yeux à une rationalité économique et commerciale avérée et vérifiable, mais à une rationalité d'une autre nature, que nous avons essayé de mettre en lumière afin de mieux la combattre.

L'OEP