Quand le monde parlera chinois (Le Point)

Catégorie : Politiques linguistiques économiques

Un article de Caroline Puel publié le 25 décembre sur LePoint.fr

Afin d'accroître son influence et de rassurer le reste du monde sur ses ambitions de développement pacifique, la Chine a multiplié ces dernières années l'installation d'"instituts Confucius" sur les cinq continents. Ils sont débordés par leur propre succès !
 
À quelques centaines de mètres de la Porte de la Victoire ("Deshengmen") qui marquait autrefois l'entrée Nord de Pékin - à l'endroit même où s'arrêtaient jadis les caravanes des "barbares étrangers" - se dresse un élégant immeuble de cinq étages en briques grises, aux huisseries laquées de rouge. C'est là que se trouve le siège des instituts Confucius. La modernité des installations ne laisse aucun doute sur l'importance des moyens mis à disposition de cette tête de pont de la diplomatie culturelle chinoise. La présidente des instituts Confucius n'est autre que Mme Liu Yandong, une belle et énergique femme de 64 ans, proche du président chinois, entrée au Bureau politique en 2007, vice-présidente du Sénat (CCPCC - Chinese Communist Party Central Committee) et chargée des questions d'éducation parmi les cinq très influents conseillers d'État.

Sur le modèle de l'Alliance française

"Ces instituts Confucius sont une plate-forme de coopération et d'échanges avec les experts, mais aussi le grand public des pays étrangers, auquel nous voulons présenter l'histoire et la réalité de la Chine d'aujourd'hui", explique dans un style très ouvert la directrice générale, Mme Xu Lin. Très réputée dans le domaine de l'éducation, cette femme de 55 ans a été accueillie en novembre parmi les quelque deux cents conseillers du Premier ministre chinois. Opération de propagande ? L'accusation a fusé en Australie en 2007 de la bouche du professeur Jocelyn Chey, qui avait été dans les années 1990 consul général à Hongkong. "Certains pays nous critiquent, redoutent un impérialisme chinois, mais nous nous sommes inspirés du modèle de l'Alliance française qui va bien au-delà de l'enseignement de la langue et présente aussi le cinéma, la littérature et les arts français... Tout comme le British Council, nous traduisons des manuels et notre budget est deux fois moins important que celui du Goethe-Institut allemand", explique Mme Xu Lin. "Notre mission est d'encourager les jeunes à apprendre le chinois. On renforce ainsi les amitiés, les échanges et cela aidera à créer un futur meilleur pour l'humanité", déclarait en novembre Mme Liu Yandong, en accueillant un millier de boursiers étrangers. "Aujourd'hui, les Chinois souffrent de se sentir incompris. Ils ont réalisé que le fait qu'ils parlent des langues étrangères ne suffisait plus. Il faut que la communication passe dans les deux sens", explique un diplomate chinois.

Une tradition qui prône la paix et l'harmonie

Le choix de Confucius pour patronner ce projet permet de désamorcer les critiques idéologiques. Confucius n'a-t-il pas été conspué pendant la Révolution culturelle ? En réhabilitant le vieux sage, le gouvernement chinois se démarque des excès de la révolution communiste et se replace dans une tradition de 2.500 ans qui prône la paix et l'harmonie. Ce message, poussé par les succès économiques de la Chine, fait des émules. Lorsque le premier institut Confucius a ouvert en 2004, la Chine prévoyait d'en inaugurer 100 avant 2010. Or, ce sont plus de 282 "centres Confucius" qui se sont implantés depuis dans 88 pays, toujours en partenariat avec une université ou une région, sans parler des 272 "classes Confucius" destinées aux écoliers du primaire et du secondaire.

En France, treize instituts Confucius ont ouvert ces dernières années, deux sont en projet (à La Réunion et à Bordeaux) et les premières "classes Confucius" démarrent. Le dispositif est pratiquement le même en Allemagne ou en Corée du Sud, mais le Royaume-Uni en accueille déjà le double et aux États-Unis le développement est carrément fulgurant (près de 60 instituts Confucius). 230.000 étudiants étrangers dans le monde suivent cette année une formation dans un centre Confucius et plus de 500.000 ont été formés depuis 2004. Le problème de Mme Xu Lin est aujourd'hui de répondre à la demande... "J'ai 300 demandes d'ouverture en attente... Jamais, nous n'aurions imaginé, voilà cinq ans, qu'il y aurait un tel engouement pour l'apprentissage du chinois. Aujourd'hui, plus de 40 millions d'étrangers apprennent notre langue (dont 36 millions d'origine chinoise). Tous les jours, je reçois de nouvelles requêtes pour ouvrir un institut, mais je veux maintenir la qualité de l'enseignement et il me faut encore trouver des financements !"...

Intégralité du Point Spécial Chine