Pourquoi le multilinguisme est favorable à la croissance économique

Catégorie : Economie des langues

Traduction de l'anglais par Mariela Slancheva

3 février 2017 | 12h01 CET

Auteure : Gabrielle Hogan-Brun (chercheuse en études des langues à l'Université de Bristol)

Si votre stratégie n'est de faire du commerce qu'avec les personnes qui parlent anglais, ce sera une pauvre stratégie.

Le grand économiste américain Larry Summers a récemment posté un tweet à ce sujet relatant la focalisation des États-Unis sur la relation soi-disant spéciale avec le Royaume-Uni. Et il a raison. L'impact économique sur les États-Unis (ou tout autre pays), qui ferment leurs frontières commerciales avec d'autres pays qui pensent différemment, serait énorme.

La langue a son importance au niveau national à grande échelle et au niveau des entreprises plus petites. Geno's, établissement célèbre de Philadelphie qui propose des steaks et du fromage, refusait de vendre aux clients qui passent leur commande dans d'autres langues que l'anglais. Le message qu'il affichait n'a été enlevé qu'en 2011.

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L'affiche sur la vitrine du magasin a été enlevée en 2011. Brian Zambrano/flickr, CC BY-NC-SA

Lorsqu'une seule petite entreprise décide de choisir cette approche selective, l'effet sur l'économie, en général est négligeable. Cependant, après l'élection de Donald Trump, il y a désormais une propagation du sentiment protectionniste aux États-Unis, qui pourrait avoir un bien plus grand effet sur l'économie. L'insistance de Trump pour une politique commerciale de « l'Amérique d'abord » est en contraste absolu avec des décennies où les États-Unis étaient considérés comme le plus grand défenseur du libre-échange. Cette rhétorique isolationniste semble fermer la porte à l'échange, l'innovation et la croissance. Et pourtant, le libre-échange nous a été favorable à tous.

La montée d'anciennes civilisations, la Chine, l'Égypte, la Grèce et Rome, se résume à un succès dans le commerce au travers des cultures. Les premiers commerçants savaient déjà qu'ils devaient comprendre leurs clients pour produire un bon rendement économique au-dessus des fossés linguistiques. Parmi eux, on trouve Marco Polo, le brillant commerçant multilingue qui fit du commerce de la Méditerranée jusqu'en Chine.

Aujourd'hui de la même façon, les entrepreneurs avisés auront plusieurs langues dans leur ligne de mire. J'ai trouvé de nombreux exemples lorsque je faisais des recherches pour mon livre Linguanomics[1]. What is the Market Potential of Multilingualism ? (Quel est le potentiel de marché du multilinguisme ?). Regardez le fondateur de Facebook, Mark Zuckerberg, qui apprend le mandarin. La famille de son épouse est chinoise, vous pouvez donc dire qu'il est personnellement motivé pour l'apprendre. Mais c'est surtout le marché qui le pousse, étant donné que sa société essaye depuis longtemps de s'introduire sur le marché chinois.

En cela, il suit un ancien mantra rendu célèbre par Willy Brandt, l'ancien chancelier de la République fédérale allemande : « Si je vous vends, je parle votre langue. Mais si c'est moi qui achète, dann müssen Sie Deutsch sprechen [alors vous devez parler allemand] ». Ce qui montre que maintenant aussi le client est le roi.

Le pouvoir économique de la langue

Le fait que la Grande-Bretagne favorise les nouveaux marchés en dehors de l'Union européenne va vraisemblablement mener vers de nouveaux besoins en langue. Les sociétés qui réagissent à ce défi dépendront d'un réservoir de compétences multilingues pour le marché transfrontalier. Cela nécessite la libre circulation puisque de nombreux Britanniques déclarent ne pas être doués pour parler d'autres langues que l'anglais. Hélas, des statistiques récentes du gouvernement montrent que le Royaume-Uni perd déjà environ 3,5 % de son PIB chaque année du fait de l'absence de compétences langagières de la population active.

Par opposition, les États-Unis ont, du fait de leur mélange de racines culturelles historique, un vaste réservoir de langues qui se cache sous un vernis apparent de monolinguisme. En fait, malgré l'insistance de Geno's, l'anglais n'est pas la langue officielle des États-Unis. Cela est en reconnaissance du caractère culturel diversifié des États-Unis. Mais si la monochronie des langues est promue de manière stratégique aux États-Unis au détriment de l’hétérogénéité latente, l'économie va souffrir. En effet, des études récentes ont démontré qu'une entreprise sur six est perdante à cause du manque de compétences langagières et de conscience culturelle dans sa population active.

D'autres pays montrent la manière dont il est possible d'exploiter leur multilinguisme en tant que ressource avec une valeur d'échange dans l'économie mondialisée. En Suisse, par exemple, la valeur économique du multilinguisme est estimée être 10 % de son PIB. C'est parce que les gens peuvent facilement travailler dans plusieurs langues, dans beaucoup d'entreprises et d'organisations.

Si les dernières tendances protectionnistes des États-Unis gagnent le Royaume-Uni et l'Union européenne, des pays comme la Chine et l'Inde, ainsi que le Mexique, l'Indonésie et la Turquie vont probablement y gagner. Dans cette économie mondiale plus diversifiée, l'anglais peut fort bien, à plus ou moins long terme, devenir moins important. Sa position affaiblie serait ironique, si la cause en était la tentative de « restaurer la grandeur de l'Amérique ».

[1] Mot-valise composé de language (langue) et economics (économie).

Source : https://theconversation.com/why-multilingualism-is-good-for-economic-growth-71851