Gabriela Slezak
Traduction : Anne-Sophie Watrin
Article original :
https://www.oead.at/fileadmin/oead_zentrale/ueber_den_oead/publikationen/pdf/oead.news/2
014/oead-news-95-web.pdf
Plurilinguisme vécu dans le cadre d’un projet au Burkina Faso. La communication en plusieurs langues est une chance et non une barrière.
Dans le cadre de stratégies d’internationalisation de la part d’universités et d’autres hautes institutions de formation, la compétitivité et les intérêts économiques sont des priorités. La mobilité et une orientation internationale de la formation ont des effets pleinement positifs sur les institutions et leurs acteurs, c’est en tout cas l’hypothèse mise en jeu. L’attention est pourtant à peine portée sur les changements produits à échelle personnelle sur les enseignants, les chercheurs et les étudiants dans leur quotidien professionnel. Les attentes, besoins individuels des personnes intéressées, révélés dans un nouvel environnement, ainsi que leurs expériences apportées dans le processus, restent souvent laissés de côté dans cette vision des choses. Ceci vaut également pour l’échelle de la communication : étudier dans différentes universités ou travailler dans plusieurs universités en même temps implique un changement de situation linguistique. Un environnement d’apprentissage ou de travail international demande de la part des gens, d’adapter des stratégies d’interaction linguistique qui fonctionnent à de nouvelles exigences et d’élargir les possibilités de compréhension. Par élargir, je n’entends pas seulement l’apprentissage d’une langue internationalement reconnue comme l’anglais. Même au sein de celle-ci se trouvent différentes variétés, comme les jargons, les dialectes à importance locale mais également les langages familiers, auxquels reviennent dans la pratique de la communication quotidienne de multiples fonctions. Pour ce processus d’adaptation, la capacité à communiquer en plusieurs langues représente une précieuse ressource.
Dans le cadre de la recherche en plusieurs langues, il semble que les personnes disposent de tout un répertoire de ressources linguistiques et communicationnelles, qui n’englobe pas seulement les langues mais aussi les possibilités d’expression, les dialectes, les styles et registres, que nous apprenons à déployer selon les contextes comme des ressources linguistiques tout au long de notre vie. Par conséquent, nous interagissons principalement toujours en plusieurs langues. La mobilité exige que cette capacité soit constamment développée.
Etudier ou travailler dans une université nouvelle ou à vocation internationale peut signifier qu’une langue d’enseignement domine et soit nouvelle pour les apprenants tout comme pour les enseignants. Parallèlement au suivi de cours de langues, il s’agit d’acquérir le langage technique, d’adapter les habituelles stratégies de communication au cours et de fournir un travail de traduction mutuel. D’autre part, on exerce des pratiques plurilingues en interaction avec d’autres participants, on fait des expériences pour l’investissement de ses propres ressources linguistiques et on examine enfin aussi sa propre gestion des langues. Apprendre une langue consiste également en grande partie au fait de prendre mieux conscience de ses propres possibilités linguistiques. Du point de vue des locuteurs, qu’ils soient enseignants ou apprenants, des offres d’entraînement et de perfectionnement pour les langues (scientifiques) devraient aussi encourager l’échange (pluri-)linguistique. Ce dernier point signifierait aussi prendre conscience des concepts idéologiques qui sont à la base du concours de langues dans le débat sur l’internationalisation. Les langues sont des pratiques sociales et, en cela, ne sont pas neutres. Nous évaluons les locuteurs à la lumière de leur langue et nous nous orientons nous-mêmes dans l’utilisation de nos capacités plurilingues vers des hiérarchies linguistiques vécues sur le plan sociétal.
Dans le cadre des efforts d’internationalisation de la part des universités, on constate une tendance à attribuer à l’anglais comme langue internationale une valeur supérieure à toutes les autres langues qui pourraient se prêter à l’enseignement et la recherche. L’anglais est stylisé en langue de la modernité et de la qualité qui endossera, en tant que standard général, la fonction de (seule) langue scientifique porteuse d’avenir. Cette politique de la monolinguisation laisse de côté la diversité des formes d’anglais qui ont gagné de l’importance dans le monde entier dans différentes universités. Et cette hypothétique standardisation de la communication ignore la réalité des locuteurs. Communiquer avec succès signifie, dans le domaine scientifique également, investir les ressources linguistiques disponibles en fonction du contexte. Cet objectif selon lequel l’anglais serait utilisé comme unique langue d’enseignement, conduit à ce que d’autres langues disponibles ne soient pas autorisées comme ressources pour la compréhension et la diffusion et ceci peut considérablement mettre à mal la qualité de l’enseignement. Par exemple, lorsque des enseignants et des étudiants n’interagissent pas en plusieurs langues, bien que – au vu de la composition du groupe - un cours plurilingue par exemple en anglais et en allemand serait plus approprié et contribuerait d’une manière plus positive à la médiation. La langue est alors instrumentalisée comme élément central de la politique d’internationalisation.
Se rapprocher d’une langue d’enseignement nouvelle est synonyme d’un défi supplémentaire qui n’a pas la même valeur pour tous les étudiants. La concentration sur l’anglais comme langue scientifique renforce l’inégalité des conditions d’accès. Dans le cas du groupe « étudiants de pays en développement », l’attention est principalement tournée vers un déficit linguistique, qui va de pair avec le manque de qualité dont a souffert la formation dispensée jusqu’à présent. L’offre de cours dont la langue d’enseignement est l’anglais sert à établir un seuil de référence en matière de qualité pour la formation universitaire. Dans ce modèle d’explications, le fait que l’anglais comme langue d’enseignement rende l’accès à la formation supérieure encore plus difficile pour certains groupes d’étudiants, n’est pas remis en question. Au Burkina Faso, par exemple, le français comme langue principale d’enseignement restreint l’accès à la formation supérieure dès le secondaire. Avec une focalisation sur l’anglais comme langue scientifique, ce phénomène est encore renforcé. Pour la relève académique du Burkina Faso, il en découle un préjudice déjà purement linguistique dans la concurrence internationale.
Du point de vue déjà esquissé d’un plurilinguisme vécu, nous développons des stratégies pour investir nos ressources communicationnelles de façon flexible malgré des disparités linguistiques et pour les adapter aux besoins en mutation. Ces compétences sont alors aussi mobilisées lorsque la compréhension n’est possible que de façon limitée. Une équipe d’étudiants et d’enseignants dans le domaine de l’écologie appliquée illustre la gestion de stratégies plurilingues dans le secteur scientifique à travers une pratique de recherche commune au Burkina Faso et en Autriche. En 2012, dans le cadre du projet Appear SUSFISH financé par l’OEZA1, une enquête de terrain de douze semaines a été organisée pour l’enregistrement de données relatives à la biodiversité d’organismes aquatiques issus de différents types de cours d’eau dans de larges parties du Burkina Faso, à laquelle environ 20 personnes ont participé. La communication s’opéra en beaucoup de langues, ni en français ni en moré, l’allemand et l’anglais étant appropriés à la production de savoir partagé, en tant que seuls outils de communication. La situation détermina qui de l’équipe était expert linguistique et médiateur linguistique. Personne n’agit exclusivement en tant que traducteur ou locuteur natif. Les experts en science et pratique essayèrent de transmettre les uns aux autres leurs contenus et sujets avec toutes les ressources linguistiques qui étaient à leur disposition. Il était sans importance qu’on puisse parler « moins bien » l’une ou l’autre langue.
La traduction endossa par la suite la fonction d’espace de production de savoir et de compréhension : ne pas comprendre quelque chose n’était pas synonyme de déficit de connaissance ou de déficit linguistique qui conduirait à l’exclusion. Bien plutôt, il découla de la possibilité et du besoin de demander et d’expliquer, une compréhension plus approfondie des rapports complexes. Dans l’équipe, plusieurs langues furent utilisées comme ressources pour reconsidérer les connaissances, et ne furent pas vues comme une barrière pour la compréhension. Cependant, un accès ouvert aux langues comme ressource est décisif pour la mobilisation de ces espaces de connaissance. Dans ce contexte, l’équipe est parvenue à dissoudre une dichotomie entre langue scientifique et langue non-scientifique : l’anglais n’était pas « plus moderne » ou bien un garant plus important de qualité que le moré.
La mobilisation de nos ressources plurilingues est pourtant dépendante de la situation. Une hiérarchisation des langues en rapport avec l’internationalisation conduit dans les universités autrichiennes au fait que des ressources plurilingues perdent en validité. Le régime linguistique, selon lequel seul l’anglais fait autorité dans le contexte international, conduit également au fait que des boursiers du Burkina Faso, qui ont mené avec succès leurs recherches en collaboration avec des scientifiques autrichiens, soient nettement désavantagés dans des programmes de bourses pour Masters ou doctorats internationaux. Cela n’est cependant pas uniquement dû à des compétences limitées en langue anglaise mais aussi à une réflexion trop peu critique de nos propres concepts idéologico-linguistiques, qui nous agitent dans le débat sur l’internationalisation.
Mme Dr. Gabriela Slezak est lectrice et collaboratrice dans le domaine de recherche Plurilinguisme à l’Institut d’études africaines de l’université de Vienne.
1 Note du traducteur : coopération autrichienne au développement (Österreichische Entwicklungszusammenarbeit)