Pour sauver l' "Europe des citoyens", la Commission européenne doit impérativement sortir de son "entre-soi" anglophone

Dans une page de la plateforme europa.eu (https://ec.europa.eu/info/language-policy_en) la Commission européenne expose sa politique linguistique. Par chance, cette page est disponible dans toutes les langues. La Commission n'a pas l'habitude de dater ses textes ni leur dernière mise à jour. C'est bien dommage.

La seule introduction mérite un commentaire :

"Notre objectif est de trouver un équilibre raisonnable entre les nombreuses langues parlées par les citoyens de l’UE et des considérations pratiques telles que le coût des traductions.

Certains types de documents, comme la législation, sont toujours disponibles dans toutes les langues de l’UE. Il est possible que d’autres contenus ne soient disponibles que dans une langue ou dans une combinaison de langues qui, selon les études menées auprès des utilisateurs, nous permettra d’atteindre un maximum de personnes de la manière la plus efficace possible.

Tous les contenus sont publiés au moins en anglais, la recherche ayant montré que cette langue permet d’atteindre environ 90 % des personnes qui consultent nos sites web, qu’elle soit leur langue maternelle ou la langue étrangère qu’ils maîtrisent le mieux. Nous étudions également le comportement des utilisateurs afin de déterminer s’ils essaient d’afficher certaines pages dans une langue donnée, de manière à pouvoir faire traduire les pages les plus demandées.

Du nouveau contenu est sans cesse ajouté et mis à jour sur ce site. Par conséquent, lorsqu’une page web n’est pas disponible dans la langue souhaitée, il est possible qu’elle soit encore en cours de traduction. Nous publions les traductions dès qu’elles sont disponibles."

Ce texte caméléon permet à la Commission de continuer de faire ce qu'elle veut, en particulier de manifester ses bonnes intentions tout en donnant la primeur à l'anglais.

On peut relèver particulièrement ceci :

"Tous les contenus sont publiés au moins en anglais, la recherche ayant montré que cette langue permet d’atteindre environ 90 % des personnes qui consultent nos sites web, qu’elle soit leur langue maternelle ou la langue étrangère qu’ils maîtrisent le mieux."

- Cette phrase donne à l'anglais non pas un rôle subsidiaire, mais le rôle principal.

- Elle opère une discrimination entre les citoyens, entre ceux qui parlent anglais et ceux qui ne le parlent pas.

- Elle ne tient pas compte du fait qu'en ne publiant qu'en anglais, elle contribue à détourner les citoyens qui ne maîtrisent pas suffisamment l'anglais de se rendre sur les sites web de la Commission. C'est un peu comme pour les pistes cyclables. Si l'on ne crée pas de pistes cyclables on n'a pas de cyclistes et donc si on n'a pas de cyclistes on n'investit pas dans les pistes cyclables.

- Limite supplémentaire : on exagère la compétence des lecteurs en anglais. Même lorsque que l'on est plutôt bon en anglais (niveau B2, voire C1), on se fatigue beaucoup plus vite que dans sa langue maternelle avec laquelle on peut s'adonner sans trop de difficulté à la lecture rapide. D'où une discrimination entre ceux qui parlent un anglais natif ou quasi natif et les autres. Soit une prime à l'anglais et aux pro-anglais comme langue "unificatrice" de l'Europe, que nous combattons et que le brexit rend aujourd'hui absolument intolérable.

On peut étendre la critique à la question brûlante des consultations publiques. Que dit la Commission ?

"La Commission européenne organise régulièrement des consultations publiques sous la forme de questionnaires en ligne, afin de faciliter la participation des citoyens au processus politique et législatif de l’UE. Ces questionnaires sont toujours disponibles au moins en anglais, français et allemand, et souvent dans la plupart des autres langues de l’UE. Les questionnaires des consultations publiques relatives aux nouvelles initiatives figurant dans le programme de travail de la Commission sont généralement disponibles dans 23 langues officielles de l’UE.

Pour en savoir plus sur les consultations publiques et la manière dont vous pouvez contribuer à l’élaboration des politiques et de la législation de l’UE, consultez la section Donnez votre avis de ce site."

La Commission, toujours en se masquant sous les bonnes intentions, cherche toujours à rester dans un "entre-soi anglophone". Le premier barrage est bien sûr la langue des questionnaires. Mais ce n'est pas le principal. La documentation qui est essentielle est presque toujours en anglais et seulement en anglais.

Ce faisant, la Commission détourne l'application des articles 10 et 11 du Traité de Lisbonne qu'il est utile de rappeler :

"10.3. Tout citoyen a le droit de participer à la vie démocratique de l’Union. Les décisions sont prises aussi ouvertement et aussi près que possible des citoyens.

11.1. Les institutions donnent, par les voies appropriées, aux citoyens et aux associations représentatives la possibilité de faire connaître et d’échanger publiquement leurs opinions dans tous les domaines d’action de l’Union.
11.2. Les institutions entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives et la société civile.
11.3. En vue d’assurer la cohérence et la transparence des actions de l’Union, la Commission européenne procède à de larges consultations des parties concernées."

Enfin, l'argument des coûts de traduction est toujours invoqué (soit 2 tickets de métro par an et par citoyen il faut le rappeler). On peut prévoir que les tenants du tout-anglais vont se battre bec et ongles contre la traduction automatique et contre une réforme fondamentale qui consisterait à mettre entre les mains des rédacteurs les outils permettant de produire leurs textes en plusieurs langues, dont bien sûr leur langue maternelle, sous réserve de validation avant publication officielle par les services de la DGT.

Il est vraiment temps que la Commission européenne change de cap.