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La traduction littéraire comme création (META, Volume 62, numéro 3, décembre 2017)

Sous la direction de Laurence Belingard, Maryvonne Boisseau et Maïca Sanconie
érudit travaille depuis 1998 à la diffusion et à la valorisation numérique des publications en sciences humaines et sociales.
L’accès à plus de 150 revues en sciences humaines et sociales : études littéraires, histoire, littérature, sociologie...

Sommaire
In Memoriam – Albrecht Neubert
Gregory M. Shreve

Éditorial
Georges L. Bastin

Présentation
Traduire, créer
Laurence Belingard, Maryvonne Boisseau et Maïca Sanconie

Partie 1 – Réflexions théoriques

Les paradoxes de la créativité en traduction littéraire
Lance Hewson
Résumé
Le présent article se donne pour objectif de proposer un cadre interprétatif qui permet de repérer des zones de créativité dans une traduction littéraire. Une partie introductive consacrée aux paradoxes qui émergent de l’association entre traduction et créativité est suivie d’une réflexion sur les limites des définitions usuelles de la créativité dans un contexte de traduction. Trois éléments sont critiqués : l’idée que seul un « problème » puisse déclencher le processus créatif, les insuffisances du critère de « nouveauté » et le flou qui entoure le rôle et les compétences de l’« expert » censé établir la manifestation de créativité. Un nouveau cadrage est proposé qui détaille les compétences de l’expert, l’importance du cadre interprétatif, les niveaux d’analyse et la démarche analytique. À ce dernier égard, l’accent est mis sur la distinction entre choix de traduction conscients et semi-automatiques, et sur la reconstitution des choix traductifs potentiels. Enfin, deux cas particuliers sont examinés : l’addition et la transformation. La dernière partie de l’article porte sur l’examen d’exemples tirés des versions croate et française d’un roman de T. Pynchon, et de deux traductions anglaises de Madame Bovary.


L’hétérolinguisme ou penser autrement la traduction
Chiara Denti
Résumé
L’hétérolinguisme, en dépit d’une présence quasi constante dans l’histoire de la littérature, n’a été que rarement pris en compte par la traductologie. Si les chercheurs l’envisagent, c’est presque toujours pour en avouer l’intraduisibilité. Il se présente généralement comme une voie sans issue où la traduction ne peut que se fourvoyer. Mais que se passe-t-il si l’on cesse de le considérer uniquement en tant que problème ? Cet article tente de démontrer en quoi les textes hétérolingues, tout en remettant en cause le présupposé monolingue sur lequel se fonde la conception littéraire traditionnelle, ouvrent à une pensée et à une pratique alternatives de la traduction. Cette étude retrace tout d’abord l’histoire de l’hétérolinguisme littéraire, examine ensuite la relation entre écriture hétérolingue et traduction, et se penche enfin sur le devenir de l’hétérolinguisme en traduction. Partant des romans Temps de chien (2001/2003) de Patrice Nganang et Verre cassé (2005) d’Alain Mabanckou et de leurs versions anglaise, espagnole et italienne, ce dernier temps de l’étude propose une analyse des stratégies de traduction de l’hétérolinguisme. Loin de s’avérer un défi impossible, la traduction peut faire résonner la trame des langues du texte de départ, mais à condition de quitter son paradigme monolingue.


Comment peut-on être sourcier ? Critique du littéralisme en traduction
Jean-René Ladmiral
Résumé
La prise en compte de la traduction littéraire comme création pose d’emblée l’immémoriale question du littéralisme, qui oppose sourciers et ciblistes. Quand on traduit une oeuvre littéraire, le théorème de dichotomie met en évidence le choix à opérer entre la spécificité ethnoculturelle (et linguistique) du texte original et l’esthétique littéraire qui est la sienne, et au sein de laquelle le rythme est un aspect parmi d’autres. Or il apparaît que l’accent mis trop souvent sur le décalage interculturel est plus ou moins surdéterminé par des impensés idéologiques. Mais la créativité littéraire de la traduction est un enjeu esthétique, et non pas idéologique. Cela dit, l’idée même de créativité est tendanciellement aporétique – et ce, alors qu’elle est concrètement à l’oeuvre dans les traductions de haut niveau.


Partie 2 – Les dessous de la créativité
(Im)possible coïncidence des textes : l’ordinaire de la création. « The Sea in Winter » (Derek Mahon) / « La Mer hivernale » (Jacques Chuto)
Maryvonne Boisseau
Résumé
La traduction littéraire n’est pas simple communication ou simple transmission du sens. Elle est aussi écriture originale parce qu’elle procède d’une énonciation qui est unique comme celle dont a procédé le texte initial. C’est en se fondant sur cette hypothèse que cet article interroge l’adéquation entre les termes de traduction et création et la portée de la comparaison « latraductioncomme création ». L’article s’attache d’abord à la proximité sémantique des termes de création et créativité que l’on substitue souvent l’un à l’autre. Puis sont examinés les liens entre le processus de traduction en tant que cheminement créatif et le « produit », en tant que création. L’article avance l’idée que la traduction peut être appréciée comme une création si elle résulte d’un travail qui vise à la rencontre des textes et cherche une concordance esthétique et poétique entre les langues en puisant dans les profondeurs de la langue de traduction. À cette fin, sont comparés des extraits du poème « The Sea in Winter » de Derek Mahon et de sa traduction par Jacques Chuto, « La Mer hivernale », afin de mettre au jour les ressorts de l’ordinaire de la création.

Un Baudelaire flamand : la traduction des Fleurs du Mal par Bert Decorte (1946)
Spiros Macris
Résumé
La première traduction néerlandaise complète des Fleurs du Mal est due au poète et traducteur flamand Bert Decorte (1915-2009). Publiée en 1946, la traduction De bloemen van den booze date de la seconde moitié des années 1930 et accompagne les débuts du jeune poète. La traduction se révèle remarquable par le travail sur la forme (mètre et rime) et le rythme. L’importance accordée au mètre induit des stratégies de traduction modulées en fonction des contraintes métriques. On observe, par ailleurs, des transpositions qui relèvent de l’appropriation de sens.Cette appropriation met en évidence l’autre versant du processus créatif à l’oeuvre dans la traduction. Celle-ci dépend du développement des ressources de la langue et de la littérature néerlandaises dans une Belgique où les francophones, qui dominaient tous les aspects de la vie économique, politique, sociale et culturelle, ont maintenu jusqu’à la fin du xixe siècle la vision d’un pays fondamentalement monolingue. La littérature flamande doit s’imposer en tant que littérature autonome face à son influente voisine, ce qui passe d’abord par un apport flamand à la littérature française (Verhaeren, Maeterlinck, etc.), puis par la conversion d’une inspiration française, où Baudelaire joue un rôle pivot, pour lui donner une expression flamande (Van Langendonck et K. van de Woestijne). Les relations littéraires avec les Pays-Bas suivent une évolution similaire. La traduction des Fleurs du Mal, comme l’oeuvre poétique de Decorte, est reçue en Flandre comme le prolongement moderne de cet effort d’émancipation. La traduction doit ses traits caractéristiques à cette relation étroite d’où elle fait émerger un Baudelaire réellement flamand.

Proust, traducteur de Ruskin. De la traduction de Ruskin à la création d’À la recherche du temps perdu
Younès Ez-Zouaine
Résumé
La rédaction de Contre Sainte-Beuve et d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust a été précédée par la traduction de The Bible of Amiens (1884) et de Sesame and Lilies (1865) de John Ruskin. L’examen de ces deux traductions montre que le traducteur s’en est inspiré pour échafauder le socle esthétique de son oeuvre à venir. En effet, la traduction des essais ruskiniens fait partie intégrante du processus d’apprentissage et de maturation qui devance et prépare la rédaction définitive de À la recherche du temps perdu. Cette traduction a consisté en une activité de transfert des contenus esthétiques de l’oeuvre de l’esthète anglais à la sienne propre. Nous essaierons dans cet article de montrer que le cadre esthétique d’À la recherche du temps perdu provient directement, avec quelques modifications que nécessite toute transformation créatrice, de sa confrontation avec les livres de Ruskin.

Partie 3 – Traduire sur le vif
Pont de suspension. La collaboration auteur-traducteur mise à nu
Kenneth R. Berri
Résumé
Lorsque l’auteur d’un roman et un traducteur travaillent ensemble, cela crée une situation unique, fondée sur la créativité et l’interprétation. Cet article expose les différents étais et états d’une telle entreprise littéraire, et examine la collaboration de l’auteur et du traducteur dans la production de trois versions successives de deux passages du roman De troublants détours (Sanconie 2004). Chaque version représente le matériau du pont créatif qui symbolise la distance entre les textes source et cible. L’auteur et le traducteur sont temporairement suspendus dans cet espace créatif où l’un et l’autre attendent leurs commentaires réciproques sur les étapes de la traduction. L’alliance de l’auteur et du traducteur crée un nouvel espace où les textes source et cible convergent et cohabitent en dépit de leur altérité. La nouvelle traduction, en tant que création, est le produit d’un recyclage des différentes versions ainsi que de négociations impliquant la narration et les stratégies de représentation et d’interprétation, dans des circonstances et selon des paramètres qui repoussent les frontières de la traduction classique.

Le traducteur dans un théâtre à mille temps
Agata Gołębiewska
Résumé
Le rôle du traducteur dans le domaine du théâtre est la conséquence directe de la position qu’y occupe le texte. Le théâtre contemporain occidental ayant de moins en moins pour mission de donner une représentation fidèle d’un texte source, et cherchant plutôt à créer une expérience collective, la traduction s’y inscrit, comme processus de création, dans la totalité de la démarche théâtrale. Cette évolution brouille encore davantage la frontière entre traduction et écriture, ce qui soulève de nombreuses questions, mais ouvre, en même temps, des espaces inattendus à la créativité. Dans le théâtre contemporain expérimental, il est coutumier de prendre des libertés avec une oeuvre de littérature dramatique (la seule limite étant celle de la loi, donc de l’accord nécessaire des auteurs ou des ayants droit s’ils existent). Le traducteur qui participe à un projet de spectacle travaille étroitement avec le metteur en scène et le dramaturge. Il doit, au-delà de ses compétences linguistiques, bien connaître les spécificités d’un travail sur scène et comprendre notamment qu’il y est problématique de parler d’un résultat non évolutif. Une expérience de théâtre et des affinités avec les collaborateurs impliqués sont indispensables dans ce processus, dont l’issue est une forme vivante, une expérience créatrice collective.

Faust I & II. Chronique d’un sur-titrage
Michel Bataillon
Résumé
Illustrant les différentes étapes du sur-titrage des deux pièces de Goethe, Faust I & II, depuis sa création jusqu’au spectacle créé par Robert Wilson en 2015, cet article offre un bref panorama de l’histoire du sur-titrage, développée dans la récente publication du Guide du sur-titrage au théâtre, publié par l’auteur, Laurent Muhleisen et Pierre-Yves Diez sur le site de la Maison Antoine Vitez. Le jeu scénique impose de conduire un sur-titrage à l’oreille et à l’oeil, une tâche facilitée par un premier logiciel, Torticoli, permettant l’envoi des titres, et remplacé récemment par un deuxième logiciel, Opus, permettant une édition juxtalinéaire des titres. Le traducteur procède au découpage du texte joué, établissant une hiérarchie dans les informations pour aboutir à des titres cohérents et immédiatement lisibles. Le rédacteur des titres ne peut donc se servir d’une traduction existante. L’exemple de l’oeuvre de Goethe permet de comprendre comment le rédacteur des sur-titres ne peut s’en tenir à la lettre du texte mais doit sur-titrer à la fois les mots, les situations et les images, montrant ainsi en quoi ce type de traduction diffère de la traduction pour la scène et l’acteur, qui elle-même diffère de la traduction littéraire.

De la traduction comme acte créateur : raisons et déraisons d’un déni
Jean-Yves Masson

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