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L'écrivain irlandais Colum McCann : Quelques paroles fondamentales sur l'universel et le singulier, les rôles de la littérature et des sciences, qu'est-ce que le réel ?

https://www.youtube.com/watch?v=Jc4feADBE6w

La Grande Librairie, 8 septembre 2021.

Pour ceux qui n'ont pas le temps d'écouter cet extrait de l'émission de 7 mn, en voici la transcription :

F. Busnel : si vous vous posez la question comment dire le monde ou bien à quoi servent les livres que nous lisons alors vous pouvez ouvrir tous les romans de Colum McCann depuis les saisons de la nuit et jusqu'à être apeirogon, ces questions hantent une œuvre couronnée aux États-Unis par le national book award, traduite dans 40 langues, œuvre que je considère personnellement comme une œuvre majeure dans la littérature contemporaine, c'est vrai autant pour sa poésie vous allez voir extraordinaire que pour son humanisme profond parfois désespérée quand il s'agit de donner la voix aux exclus aux parias au désert à signer apeirogon sort ces jours-ci en poche aux éditions 10/18 traduit par Clément Baude, c'est un prodige d'écriture car ce roman est d'abord un kaléidoscope dans la forme l'histoire de deux pères, l'un est israélien, l'autre palestinien, ils ont tous les deux perdu leur fille pendant le conflit et contre toute probabilité ils deviennent amis et tentent de mettre la force de leur chagrin au service de la paix. Vous avez appelé apeirogon et la forme que vous lui avez donnée est me semble-t-il totalement inédite, elle est palpitante également, elle permet d'aborder l'intimé la grande histoire, mais aussi la philo, la religion, la géographie, la musique tout cela autour d'un conflit qui semble interminable. Qu'est-ce que c'est concrètement un apeirogon ?

Colum McCann : un apeirogon, c’est un polygone avec un nombre infini de côtés mais avant d'arriver à apeirogon, je voudrais dire la lecture à voix haute, prononcer correctement, cette idée de lire à voix haute, d'avoir des jeunes, lire des livres, c'est fabuleux, ça ne peut se produire qu'en France, j'aime les Français et j'aime l'engagement des Français auprès des livres. Imaginez une émission comme ça à la télé même en Irlande aux États-Unis, c’est ce que vous faites c’est que vous avez un accès aux jeunes, je crois que cent mille jeunes vont lire pour ses livres et le livre est redevenu apparent à nouveau dans ce monde, ce qui est très important à une époque où on en pense que le livre va disparaître, peut disparaître et ces jeunes disent quoi ? Ben non ça ne va pas disparaître, on peut le lire et le lire à haute voix même si le livre disparaît, même si le roman disparaît, une chose ne disparaîtra jamais et c'est l'histoire les récits que nous devons raconter. Votre ami, mon ami Jim Harrison a dit la mort emportera beaucoup de choses mais n'emportera pas nos récits et c'est fantastique. Tout peut disparaître mais le récit ne disparaîtra pas et c'est ce que j'essaie de faire avec apeirogon, c'est l'histoire de deux hommes qui vont traverser le monde raconter leur histoire l'histoire horrible comment ils ont perdu leur fille l'un d'Israël, l'autre de Palestine, ils le font comme un acte de courage de courage moral et ce livre est structuré de telle sorte que je veux vous dire ce qui m'est arrivé quand je les ai entendus me raconter leur histoire. Je me suis rendu compte, mon Dieu, Rami et Bassan racontent leur histoire parce qu'ils veulent garder leur fille vivante et leurs récits maintiennent leurs enfants en vie dans ce monde. Où est ce que ça pourrait se produire dans l'histoire du monde, dans Les mille et une nuits ? Et donc j'ai divisé ce livre en mille et un chapitres pour parler du pouvoir du récit et de raconter l'histoire à la face que Rami dit, que Bassam dit ce que nous disons tous c'est que le monde est fait d’énormément de choses. Les scientifiques nous disent que le monde est fait de quarks, d’atomes, de molécules, mais nous nous serons d'accord pour dire que le monde est fait d’histoire, de récits et nous avons besoin de raconter nos histoires. J'ai une organisation aux États-Unis, en Afrique et en partie d'Amérique latine et bientôt en France le forum narratif, le narrative forum où des jeunes rencontreront des récits. C'est incroyable ce qui se passe lorsqu'on l'entend l'histoire de quelqu'un d'autre, en fait une histoire qu'on ne devrait pas entendre en fait. En Israël et en Palestine, il y a beaucoup d'histoires qui sont racontées, et un côté ou l'autre ou des deux côtés disent « n'écoutez pas » parce que lorsque vous savez Tahir Dajout, un algérien, il est fabuleux, il dit « si vous parlez vous mourrez, si vous êtes silencieux vous mourrez, et donc parle et meurt ». Nous devons raconter l'histoire de ce qui se passe dans le monde c'est l'une des choses les plus importantes que nous puissions faire ensemble, ce que fait Rami et Bassam, ils racontent leur histoire.

FB : ils existent véritablement Bassam et Rami, vous les avez rencontrées vous partez donc d'une histoire vraie en réalité jusqu'où eux-mêmes sont-ils confrontés à ce que vous racontez à un moment c’est-à-dire à ces accusations, ces autodafés, parce que ce qu'ils racontent après la mort de leur fille dérange, c’est-à-dire d'être traité de collabos dans leur propre communauté et d'être mis au ban intellectuel de leur communauté ?

CMC : mais si Bassam va à une école en Israël les parents vont sortir et manifester et dire mais comment ce terroriste peut venir parler à nos enfants. Bassam a passé sept ans en prison, il est commandant d'unité du Fatah, il croit en un engagement pacifique désormais, Rami on l'accuse d'être entre autres un traître à son peuple et ils ont le courage de leurs idées, parce que, comme on l'a dit précédemment, l'histoire et le temps vont juger. Ils sont besoin de raconter l'histoire parce qu'ils la connaissent, ils savent que l'histoire est vraie. Est-ce que c'est à la mode ? Non, est-ce que ça rend les gens en colère lorsqu'ils disent ces choses-là ? Même la mention du mot « paix » dans certaines régions va vraiment enrager les gens mais ils ont décidé non nous devons en parler, mais on n'a pas besoin de s’aimer, on n'a même pas besoin d'être d'accord avec l'autre, mais où on a besoin de se comprendre et la seule façon de se comprendre c'est à travers le processus de raconter cette histoire.

Cette histoire ça peut être une bonne histoire de l'amour qui peut faire fondre le cœur, c'est peut-être aussi quelque chose qui nous embête mais c'est la façon dont on engage le monde. Les molécules de monde sont les récits.