Logo de l'OEP

Sélectionnez votre langue

Logo de l'OEP

Sur le génocide linguistique dans un contexte de mondialisation (The Daily Observer)

Avik Gangopadhyay

The Daily Observer
Publié : Dimanche, 16 avril 2017 à 12H00, Mis à jour : 16/04/2017 12h33, Compte : 186
Traduction : Mariela Slancheva pour l’OEP

Selon les spécialistes, seulement 600 (sur) des environ 6 000 langues du monde ne sont pas en danger de disparition. D'après une autre estimation, elles sont plus de 7 105 dans le monde, et la moitié d'entre elles sont peut-être en danger de disparition dans les décennies à venir. Dans son livre Language Death1 David Crystal estime que 2 langues sur 6 000 ou 7 000 langues dans le monde disparaissent chaque mois, avec en plus les pressions physiques et culturelles qui contribuent à cette disparition, et cite le bilinguisme et le multilinguisme comme étant la solution pour la préservation de la diversité linguistique.

Les auteurs de Vanishing Voices, Daniel Nettle et Suzanne Romaine affirment que cette tendance est beaucoup plus qu'inquiétante. En rendant explicite le lien entre la survie de la langue et les problèmes environnementaux, ils affirment que l'extinction des langues fait partie de l'ensemble plus vaste de l'effondrement quasi-total de l'écosystème mondial, soutenant que la lutte pour préserver les précieuses ressources environnementales, telles que la forêt tropicale, ne peut pas être séparée de la lutte pour la préservation des différentes cultures, et que les raisons de la mort d'une langue, comme celle de la destruction écologique, se situent au confluent de l'écologie et de la politique.

La langue est un symbole puissant de l'identité d'un groupe. Une grande partie de la vie culturelle, spirituelle et intellectuelle des gens passe par la langue. Cela va des prières, des mythes, des cérémonies, de la poésie, de l'éloquence, du vocabulaire technique jusqu'aux salutations quotidiennes, aux adieux, aux styles de la conversation, à l'humour, aux manières de parler aux enfants, aux termes pour désigner les habitudes, comportements et émotions. Lorsqu'une langue disparaît, tout cela doit être refaçonné dans la nouvelle langue avec des mots, des sons et une grammaire différents, si toutefois cette langue doit être tant soit peu préservée. Souvent, les traditions disparaissent tout à coup dans le processus et sont remplacées par les habitudes culturelles du groupe le plus puissant.

Selon une estimation, parmi 6 703 langues distinctes parlées dans le monde, il y en a 2 165 en Asie, 2 011 en Afrique, 1 000 étaient parlées dans les Amériques, ainsi que 225 en Europe et 1 320 dans le Pacifique, y compris l'Australie. D'ici un siècle, cependant, beaucoup de ces langues pourraient disparaître. Certains linguistes pensent que leur nombre peut diminuer de moitié ; d'autres disent que le total pourrait tomber à quelques centaines étant donné que parmi les langues dans le monde (la plupart parlées par quelques milliers de personnes ou moins) la priorité va aux langues comme l'anglais, l'espagnol, le portugais, le chinois mandarin, le russe, l'indonésien, l'arabe, le swahili et l'hindi. D'après quelques estimations, 80 % des langues dans le monde peuvent disparaître au cours du siècle prochain.

Le catalogue des langues du monde du site web « Ethnologue », qui est l'une des meilleures ressources linguistiques, a récemment énuméré 7 358 langues vivantes connues, au 20 mai 2015. Environ 6 % d'entre elles ont plus d'un million de locuteurs chacune, et dans l'ensemble concernent 94 % de la population mondiale. Par ailleurs, près de la moitié des langues sont parlées par moins de dix mille locuteurs, et environ un quart de celles-ci ont moins de mille locuteurs. Selon les statistiques de l'Ethnologue, les dix premières des langues par le nombre de leurs locuteurs natifs2 sont le mandarin (845 millions), l'espagnol (329 millions), l'anglais (328 millions), l'hindi (182 millions), le bengali (181 millions), le portugais (178 millions), le russe (144 millions), le japonais (122 millions), l'allemand (90 millions) et le javanais (85 millions).

La mort d'une langue se manifeste en général de plusieurs manières : mort progressive de la langue, mort du bas vers le haut (lorsque le changement de la langue commence dans un contexte de bas niveau, comme à la maison), mort du haut vers le bas (lorsque le changement de la langue commence dans un contexte de haut niveau tel que le gouvernement), mort radicale de la langue et linguicide3 (appelée également mort soudaine, génocide de la langue, mort physique de la langue et mort biologique de la langue).

Des statistiques sur les langues aborigènes d'Australie révèlent que plus de 350 langues étaient parlées lorsque le Capitaine Cook a débarqué en 1770. Environ 200 ans plus tard, seulement 90 ont survécu en tant que langues viables, dont 70 sont menacées d'extinction dans un futur proche. On a des informations sur une autre centaine de langues environ. Seulement 10 % des Aborigènes parlent toujours leur langue maternelle. Seulement 8 langues ont plus de 1 000 locuteurs et seulement 45 langues n'ont que 10 à 100 locuteurs, ce qui n'est pas assez pour garantir leur survie.

La Tasmanie donne un exemple de mort de langue par génocide. La Tasmanie a d'abord été en contact avec le capitaine danois, Abel Tasman, en 1642, plus tard repérée par le Capitaine Cook (1777) et colonisée par les Anglais en 1803. La seule population autochtone de près de 8 000 personnes vivait là-bas depuis 35 000 ans. Le niveau de la mer a monté il y a 10 000 ans et les a séparées de l'Australie. Elles parlaient 10 langues distinctes et vivaient en groupes de 40-50 personnes. Entre 1802 et 1833, la maladie et un génocide perpétré par les colons anglais ont réduit cette population à 300 personnes, moins de 4 %.

Le SIL (intialement connu sous le nom de Summer Institute of Linguistics, Inc4, fondé en 1934) est passé d'un programme de formation linguistique d'été avec deux étudiants à un personnel de plus de 5 000 personnes, venant de plus de 84 pays. Actuellement le SIL opère aux côtés de locuteurs de plus de 1 600 langues dans plus de 85 pays. Son organisation permet l'accès à tous les services par tout le monde, sans tenir compte de la croyance religieuse, de l'idéologie politique, du genre, de la race ou de l'origine ethnolinguistique. L'Ethnologue aussi est dédié au rétablissement de la langue.

Aujourd'hui « Huit objectifs à atteindre ont été votés par 189 États membres des Nations unies » ce qui offre une nouvelle perspective à la renaissance et à la vitalité linguistiques :

Objectif 1 : Éliminer l'extrême pauvreté et la faim
L'amélioration des revenus et la suppression de la faim au sein des communautés ethnolinguistiques sont obtenues lorsque des informations importantes sont communiquées dans une langue que les gens comprennent. Les taux d'alphabétisation plus élevés se traduisent souvent en revenus plus élevés par personne.

Objectif 2 : Généraliser l'enseignement primaire
Des programmes d'éducation primaire qui débutent à la langue maternelle aident les élèves à acquérir plus rapidement des compétences en lecture, écriture et calcul. Lorsqu'ils reçoivent un enseignement dans leur langue locale, les élèves transfèrent facilement leurs compétences en lecture et écriture dans les langues officielles d'enseignement, acquérant ainsi les outils essentiels à l'apprentissage tout au long de la vie. Il en résulte une plus grande estime de soi et une communauté mieux armée pour savoir lire et écrire dans des langues de plus grande communication.

Objectif 3 : Promouvoir la parité des genres et valoriser les femmes
Près de 2/3 des 875 millions d'analphabètes à l'échelle mondiale sont des femmes. Dans les communautés ethnolinguistiques, les garçons sont souvent encouragés à communiquer avec les autres dans des langues de plus grande communication. Cependant, on attend généralement des filles qu'elles restent à la maison où la langue locale est souvent la seule langue utilisée. Une recherche montre que les filles et les femmes éduquées dans des langues qui leur sont familières restent à l'école plus longtemps et atteignent de meilleurs résultats que celles qui suivent une formation dans une autre langue que leur langue maternelle.

Objectif 4 : Réduire la mortalité infantile
Le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans est réduit lorsque les informations essentielles en matière de santé sur la prévention et le traitement de maladie sont disponibles dans les langues locales. Inversement, les informations en matière de santé mal comprises peuvent mener à de fausses informations dangereuses ou même fatales. Les communautés ethnolinguistiques sont vulnérables à la diarrhée, la malaria et d'autres maladies courantes lorsqu'elles n'ont pas les ressources et la capacité à acquérir des connaissances essentielles en matière de santé.

Objectif 5 : Améliorer la santé maternelle
Une mère est beaucoup plus capable de s'occuper d'elle-même et de sa famille lorsqu'elle sait lire et écrire dans sa langue maternelle et a accès à des informations en matière de santé dans une langue qu'elle comprend bien. Le développement langagier facilite l'introduction de nouveaux concepts et la traduction exacte d'une nouvelle terminologie.

Objectif 7 : Garantir la durabilité de l'environnement
Les principes de préservation de l'environnement sont communiqués entre les langues par le biais de programmes de développement langagier et la production de documentation. La déforestation est un problème essentiel au niveau mondial. Étant donné que les populations prennent connaissance des technologies appropriées tout en puisant dans le savoir traditionnel sur la faune et la flore, elles répondent aux besoins économiques tout en protégeant l'environnement.

Objectif 8 : Développer un partenariat mondial pour le développement
Les partenariats mondiaux entre les communautés ethnolinguistiques et les sociétés nationales et internationales demandent de la communication et de la compréhension réciproque. La revitalisation de la langue maternelle garantit qu'une langue continuera à servir les objectifs en évolution de ses locuteurs et constituera un pont permettant à la communauté d'atteindre ses objectifs multilingues généraux en acquérant une langue de plus grande communication. Le développement langagier favorise l'échange général de connaissances traditionnelles ainsi que la mise à disposition des avantages des informations générales et des nouvelles technologies. Il est temps de soulever les questions des Droits linguistiques, puisqu'elles se posent systématiquement dans des situations de pression culturelle. Les langues sont des créations humaines, et en tant que telles, elles ont un cycle de vie. Certaines langues mortes sont plus mortes que d'autres. Les langues dont les écrits sont aimés ne meurent jamais vraiment. L'anglais ancien sera avec nous tant que nous chérirons Beowulf. C'est peut-être TS Eliott qui a le mieux saisi un tel monde inexploré de silence dans le passé dans « Quatre quartets » : « Car les mots de l'année dernière appartiennent à la langue de l'année dernière/Et les mots de l'an prochain attendent une autre voix. »

Avik Gangopadhyay est un écrivain et critique indien qui habite à Calcutta (Inde)
Voir plus à : http://www.observerbd.com/details.php?id=68890#sthash.Iqd8XImg.dpuf

1 La mort d'une langue

2 Note de l’OEP : Il s’agit des locuteurs dont la langue maternelle est celle indiquée. Ce nombre ne comporte pas les locuteurs en tant que langue seconde (qui utilisent la langue de manière quotidienne) ni les apprenants, ce qui explique ici la forte sous-estimation de l’anglais et du français.

3 Mot valise : génocide + langue (génocide de la langue)

4 Institut linguistique d'été