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Trois cordes à nos arcs (Harald Weinrich)

Nous reprenons ici un article de Harald Weinrich publié dans Le Monde des débats (Juillet-août 1993) qui explique la valeur du modèle préconisé par l'OEP, le modèle 1+2+. La voie n'est pas un peu de français, beaucoup d'anglais et pour le reste on verra (modèle qui est notamment celui du rapport Attali), mais le modèle qui se dégage du rapport Amin Maalouf que vient de publier en 23 langues la Commission européenne, soit : sa langue maternelle, la langue personnelle adoptive (1ère langue vivante), une langue internationale, modèle qui permet l'extension à d'autres langues dès le lycée, ou plus tard.

 

Trois cordes à nos arcs

Sans aucun doute, les langues européennes appartiennent au patrimoine spirituelle ce continent dont l'attrait repose moins sur l'unité que sur la diversité de ses cultures. Tout grand marché unique qu'elle voudra bien se donner, l'Europe aura donc toujours intérêt à ne pas gas­piller son prestige culturel et à faire en sorte de rester ce jardin (un peu sauvage, certes) dans la flore duquel les langues ne sont pas les plantes les moins aimées.

Comment faire pour préserver cette « biodiversité », comme disent les écologistes ? Faut-il apprendre les langues européennes en série ? Ce serait contre toutes les régies de l'économie. Néanmoins, pour ce qui est de l'économie, il y a lieu de se souvenir d'une maxime de Valéry qui disait : Dans l'économie de l'esprit, l'épargne est ruineuse ; les prodigues s'accroissent. Aucune langue ou une seule langue étrangère au programme de nos écoles, ce serait donc certainement une formule bien pauvre pour une Europe si riche de son pluralisme culturel et qui se pré­pare à devenir une vraie Communauté au lieu d'un État unitaire. C'est pourquoi la maîtrise de trois langues, à savoir de la langue d'origine et de deux langues étrangères en plus, doit être reconnue" comme mini­mum d'une « europhonie » sans laquelle cette fameuse maison communautaire serait construite sur un terrain de sable.

Pourquoi trois langues plutôt que deux qui semblent suffire à première vue ? Si, en effet, l'Europe voulait se contenter d'une seule langue étrangère pour tous les Européens, celle-ci serait nécessairement la même pour tous, et l'imagination devine que ce rôle incomberait à l'anglais, du moins à la longue.

Or une anglophonie monolithique (ou l'hégémonie monolithique de n'importe quelle autre langue) ne saurait satisfaire à tous les besoins . d'intercommunication en Europe, parce qu'elle porterait atteinte à la diversité linguistique sur laquelle repose une bonne partie de la richesse culturelle du Vieux Continent. Il est vrai que l'anglais - et c'est là certes un de ses titres d'honneur - est aujourd'hui la langue la plus universel­lement acceptée dans le monde et la plus employée dans les échanges interlinguistiques, parmi lesquels il y a lieu de mentionner tout particulièrement les échanges scientifiques. C'est un fait historique.

[...] Néanmoins, il faudra craindre que l'anglais, première langue étrangère, ne devienne très vite l'unique langue étrangère du pro­gramme et que la culture linguistique de l'Europe ne se transforme en monoculture, avec tous les risques écologiques1 que l'on sait.

L'anglais occuperait cependant une très belle place comme deuxième langue étrangère au programme. Cette position secondaire ne ferait guère de tort à une langue qui peut compter dans le monde entier sur une très forte motivation extrinsèque2 accompagnant et renforçant l'apprentissage scolaire. Il est évident que notre société ne manque pas de coéducateurs pour assurer ainsi à la langue anglaise la fonction communicative qui lui est due dans toutes sortes de domaines.

Pour la position alors vacante de première langue étrangère au programme, la très riche culture linguistique de l'Europe offre assez de candidats. Aucune des langues européennes ne sera cependant privilé­giée a priori au point d'être d'office la première langue étrangère dans tous les systèmes scolaires européens, et rien ne s'oppose à une compé­tition des langues d'Europe pour accéder à cette dignité dans un sys­tème scolaire et un type d'école donnés. Mais ce choix ne devrait pas être déterminé par un motif unique. Il existe un grand nombre de fac­teurs d'ordre géographique et historique qui, dans une situation donnée, peuvent mettre en valeur telle langue au lieu de telle autre, et l'on peut espérer que les facteurs les plus déterminants seront ceux qui se signalent le plus concrètement possible par une perspective européenne, par exemple le voisinage immédiat. Dans cette perspective, les langues régionales et minoritaires pourront également exiger le respect qui leur est dû, non pas, certes, pour l'ensemble du territoire européen, mais pour telle ou telle région d'Europe donnée dans laquelle le maintien d'un bon voisinage repose essentiellement sur les connaissances mutuelles des langues ou dialectes en question.