Logo de l'OEP
Logo de l'OEP

La traduction : défis et lématiques

Traduction de l'italien par Mariela Slancheva

par Francesca Romana Paci*

La traduction d'une langue à l'autre est rendue possible par l'hypothèse d'une équivalence générale ou au moins d'une ressemblance de la pensée humaine : un problème très vaste que Francesca Romana Paci, dès le début, déclare ne pas vouloir affronter. La chercheuse esquisse plutôt un aperçu des principales difficultés de la traduction (littéraire, mais pas seulement) et se place aussi dans une perspective historique. Elle conclut son intervention par une série de règles pratiques que tout bon traducteur devrait suivre.
Pendant des millénaires, les hommes ont communiqué par un seul moyen, d'abord par la voix et les mouvements du corps, puis par l'invention de l'écriture, qui ne plaisait pas à Platon, parce qu'il redoutait qu'elle affecte la mémoire et la connaissance (mais il l'exprime par écrit...dans Phèdre), entre-temps l'exercice de la traduction est devenu plus compliqué.
Avec la voix, avec des mouvements de tête, des yeux, on peut former d'autres informations extra-verbales ; de plus, verba volant (les paroles s'envolent). Au contraire, lorsque la traduction devient un texte écrit, fixe, qui produit dans une autre langue un texte original, à son tour écrit et fixe, commence alors la lutte des traducteurs avec les principes de justesse, fidélité, beauté, utilité, caractère unique, fonction des traductions. Et surtout, c'est en exigeant une absence d'erreurs que commence la tyrannie du choix : pour chaque mot, expression, composition morphologique, syntaxique et sonore, le traducteur doit choisir une seule et unique solution. C'est un choix de sens, mais aussi un choix esthétique.

Traduction, pouvoir et littérature

En passant par les versets de la Genèse (l.1-9) et par la Tour de Babel déjà légendaire qui, comme il convient de le rappeler, ne concernent qu'une seule partie du globe et de l'humanité, l'histoire de la traduction écrite s'avère longue et sûrement plus ancienne, autant qu'il est possible de le savoir. Dans la deuxième moitié du XXè siècle, il y a eu pas mal de tentatives pour fonder et décrire une science de la traduction, mais en raison de la pertinence des propositions, l'illusion de pouvoir construire un ensemble exhaustif de normes s'est évanouie. En outre, il ne peut exister un discours qui va dans la même direction pour toutes les langues et toutes les traductions sauf, comme on peut le constater, pour certains principes très généraux.
Les études théoriques sur la traduction et les manuels de pratique de la traduction sont tellement nombreux qu'ils interdisent les mentions les plus réductrices et superficielles.
Au cours des dernières décennies, ils ont couvert des types de traduction très différents : scientifique et technique, scientifique dans le domaine de ce qu'on appelle les sciences humaines, commerciales, servant dans le domaine du crédit, aidant à l'utilisation de produits assurant le fonctionnement de l'information et des médias, y compris le doublage et la traduction d'opéras, la traduction philosophique, religieuse, légale, diplomatique, politique et, enfin, la traduction littéraire. On y ajoute les recherches sur la traduction automatique si discutée, par le biais de machines. Si toutes ces formes et d'autres, que l'on a volontairement ignorées posent des difficultés et peuvent parfois se superposer, ce sont les textes littéraires, philosophiques et religieux qui présentent les difficultés les plus grandes et les plus intéressantes.
Même les traductions techniques et scientifiques sont, de toute évidence, complexes, mais compte tenu de la compétence des traducteurs, elles peuvent au moins bénéficier de l'aide de termes spécifiques qui ne permettent pas de s'écarter du sens par les connotations. Jusqu'à un certain point, nous pouvons dire la même chose pour toutes les traductions qui peuvent utiliser des « termes » et non seulement des « mots », selon une distinction bien connue. Les traductions religieuses, quant à leur interprétation, sont une vraie création et/ou un pouvoir conservé ; dans la communauté chrétienne, il suffit de rappeler que la Réforme et la Contre-Réforme sont soutenues, précisément, par des traductions qui deviennent des textes primaires à part entière : la Bible de Luther et l'Authorized Version de James I[1] d'une part et la Bible de Saint Jérôme de Stridon et la Vulgate d'autre part. Nous pouvons débattre sur ces traductions à l'infini. Autrement dit, nous pouvons débattre également sur les traductions du Coran, à commencer par le problème de la licéité dans sa traduction.
La traduction littéraire est moins impliquée dans le pouvoir, mais une enquête approfondie démontrerait qu'elle possède un pouvoir occulte. Il peut s'agir de la traduction de textes narratifs, poétiques ou de théâtre, mais aussi de la traduction interprétative d'essais et de théorie de la littérature, dans chaque cas avec des aspects spécifiques. Les traductions littéraires ne sont jamais finies, elles sont toujours datées et vieillissent ; elles deviennent difficilement des textes primaires, nonobstant l'ambition prédatrice du Romantisme allemand (même l'Iliade, l'Odyssée et l'Enéide). C'est pourquoi, cependant, elles deviennent de bons outils d'étude de la période à laquelle elles ont été traduites : il suffit de rappeler les nombreuses traductions de l'Ars poetica d'Horace et du Traité anonyme du Sublime.
La traduction littéraire est un engagement délicat et de grande responsabilité qui met face-à-face non seulement deux langues, mais également deux cultures. Benvenuto Terracini soutenait cette idée en 1957 (Conflitti di lingue et di cultura[2]), lorsqu'une conception de la traduction était encore très répandue, liée au nationalisme romantique, qui privilégiait la langue et la culture cibles par rapport à la langue et à la culture sources : il est conseillé au traducteur de lire la traduction comme un texte original de la langue et de la culture cibles. Aujourd'hui, on accepte presque toujours que la langue et la culture sources soient privilégiées. La question est fondamentale, parce qu'elle implique une reconnaissance (même au niveau politique) et un respect des autres langues et cultures, mais elle est trop complexe pour être traitée dans le cadre de cet article.

La « boîte à outils » du traducteur

Qu'est-ce qu'un traducteur doit faire pour être un bon traducteur ? Existe-t-il un ensemble de règles qui, si vous les observez, garantit une bonne traduction ? S'avère-t-il utile de chercher des réponses dans la théorie ? Peut-on vraiment réaliser un cours qui enseigne la traduction ? Pour la plupart de ces questions difficiles, la réponse est franchement « non », pour certaines de leurs parties la réponse peut être « oui ». Seulement une petite partie de la théorie de la traduction a une utilité pratique pour le traducteur. Quant aux règles, chaque texte pose ses propres règles ; tout roman, pièce de théâtre, poème, impose ses propres règles ; chaque fois que le traducteur doit recommencer et s'adapter au texte et non adapter le texte à des règles préétablies. Quant à l'enseignement et à l'apprentissage de la traduction, on apprend à traduire en lisant et en traduisant, avec un esprit ouvert et des oreilles attentives, conscients du fait que traduire est une compétence qui ne finit jamais d'être acquise. On peut avancer quelques propositions de principes généraux, mais avec précaution :
La traduction est un métier qui exige, à la base, un talent naturel pour l'expression linguistique et une sensibilité imaginative et sonore pour le mot. On ne peut enseigner, mais on peut cultiver ces éléments. Pour traduire, il faut prouver un intérêt pour les défis qui ne s'enseigne pas non plus, mais croît à chaque défi accepté. Le traducteur doit avoir, pour le texte qu'il traduit, le même amour que celui de l'auteur, avec toutes les variantes possibles : haine, aversion, haine-amour, irritation. Tout de même, il doit prouver quelque chose, prouver qu'il n'est pas indifférent.
Il doit bien connaître la langue source et la langue cible. Cela peut s'enseigner et s'apprendre, mais constitue un processus qui n'est jamais fini, qui doit toujours continuer, parce que s'il est interrompu, cela porte à une dégradation très rapide des compétences.
Il doit bien lire et comprendre l'ensemble et le système du texte avant de commencer à traduire (quelques pièges soit cruciaux, soit accidentels s'avèrent utiles).
Il doit se rappeler qu'il ne doit pas faire une paraphrase du texte, mais le traduire, laisser à l'écrivain son métier.
Le traducteur doit s'efforcer de ne pas aplatir le texte, ne pas réduire le style de chaque auteur qu'il traduit dans un seul style (généralement le sien).
Il doit comprendre le texte, mais ne doit pas l'expliquer. A mon sens, la traduction est la première opération critique la plus complète d'un texte, mais plus elle est critique et complète moins il y a besoin de changements dans la traduction.
Il ne doit pas « sur-traduire », en cherchant à tout prix inclure des éléments dans la traduction qui, du passage d'une morphologie et d'une syntaxe à une autre, risquent de devenir redondants.
Il doit lire et relire à voix haute sa traduction (cela peut sembler facultatif, mais ne l'est pas) ; le son est un bon moyen d'éviter les maladresses, ainsi que certaines erreurs. Il est essentiel, dans les traductions pour le théâtre, où l'on doit accompagner la respiration des acteurs ; essentiel pour la poésie, où l'on doit recréer un rythme.
Il doit travailler le plus possible le contexte, en sortant du texte, pour pouvoir le voir comme une partie de quelque chose de plus large. Toute information est utile. Il doit avoir de la patience, de la capacité d'attention prolongée, s'habituer à critiquer et à contrôler. Il doit envisager la possibilité de ne pas avoir compris, même lorsque tout semble simple. C'est la chose la plus difficile, mais on apprend.
Il doit également avoir de bons dictionnaires, se procurer des lexiques spécifiques, si nécessaire, et des textes de référence géographiques, historiques, de champs spécifiques, et/ou des encyclopédies nationales ou au moins universelles. Les journaux servent aussi d'aide.
Un traducteur doit surtout, s'il traduit des essais et des critiques, vérifier s'il y a des traductions antérieures du même auteur. Dans ce cas, il doit tenir compte d'abord des termes devenus d'usage et des mots clés.
Il doit avoir du temps. Cela ne s'enseigne pas. C'est le rêve de tous les traducteurs qui aiment traduire. En revanche, comme on le sait, les traducteurs sont mal payés, que ce soit en termes d'argent qu'en termes de visibilité intellectuelle.
Tout ce qui précède est déjà beaucoup, même si la liste pourrait être développée, et tout élément devrait être approfondi, mais le problème c'est que la traduction a une valeur commerciale propre, qui inclut aussi le facteur temps. On tient compte de la compétence, mais on ne tient pas compte du peu de temps consacré ni de la baisse de la valeur commerciale qui sont aujourd'hui les principaux ennemis du travail de traduction.

* Enseignante de Langue et littérature anglaises à l'Università del Piemonte Orientale et traductrice

Publié le 8 novembre 2005

[1] La Bible du roi Jacques (traduction de la Bible en anglais)

[2] Conflit de langues et de culture

Source : http://www.treccani.it/scuola/lezioni/in_aula/lingua_e_letteratura/dire/1.html">http://www.treccani.it/scuola/lezioni/in_aula/lingua_e_letteratura/dire/1.html